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Saute-mouton – Nouvelle #3

Publié par Charlie | Commentaires :0 | 26 mai 2010
photo de Vladislav Semenov

photo de Vladislav Semenov

N’importe quel prof de philo vous le dira : il ne faut jamais commencer son texte par une généralité. Leur exemple favori ? « De tout temps, les hommes ont aimé la peinture. Dès la préhistoire, cet art était un de leur loisir favori, comme le montre l’exemple fameux de la grotte de Lascaux. » Blablabla.
Et pourtant, certaines généralités méritent d’être discutées.

En général, on estime que les riches doivent, parce qu’ils sont riches, être mieux éduqués, plus cultivés et plus beaux que les autres – les pauvres ou presque pauvres. Eh bien, en général, on se trompe. Les riches croient que, parce qu’ils sont riches, tout leur est permis. Un point c’est tout.
Prenons un exemple. Aujourd’hui, on le sait, on ne peut plus vivre – consommer – comme on avait pris l’habitude de le faire. On a connu la mode du développement durable, qui s’efface déjà, progressivement, rongée par l’idée que ça revient finalement à polluer moins pour polluer plus longtemps, selon la formule choc de je ne sais plus qui. Désormais, la jet set écolo décide de tout changer. Une certaine philosophie de vie, qui n’avait jamais eu véritablement le loisir de s’imposer, puisqu’on n’a pas si souvent été enseveli sous les denrées diverses et variées, même en Occident, prend enfin son essor. Et des petites communautés se forment, ici ou là, en toute discrétion. Des micros villages apparaissent, produisant leur propre énergie, avec des toilettes « naturelles », c’est-à-dire une cuvette posée sur un vaste trou. La nouvelle modernité.
Spontanément, je pense : les riches vont foncer là-dessus comme autant de tyrannosaures en chaleur sur une tyrannosaurette. Mon raisonnement est simple. Les pauvres ont d’autres problèmes, la conjoncture actuelle, l’immobilier qui baisse, surtout là où habitent les pauvres, les chips bientôt surtaxée pour lutter contre l’obésité, les légumes encore et toujours inaccessibles, les visites au généraliste pour être remboursé des visites aux spécialistes… Les pauvres ont souvent beaucoup de problèmes, et souvent des problèmes assez préoccupants. Ils n’ont donc pas le temps de penser à l’environnement, et, franchement, c’est bien normal. Mais, tout aussi spontanément, je me trompe. À bien y regarder, les pauvres se préoccupent de l’environnement autant que faire se peut, et les vrais riches, eux, font juste semblant de partager les inquiétudes planétaires. On pourrait disserter des heures sur l’engagement associatif écolo machin chose de certains ultra riches (et célèbres) entrant en concurrence, plutôt déloyale, avec les gardes robes archi débordantes, les jets privés et les Humer archi polluants de ces mêmes ultra riches (et célèbres). Mais il y a pire, parce que bien plus courant, bien plus anodin, bien moins exceptionnel.

Je vis dans le sixième arrondissement, entre Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse. J’habite un joli quartier, qui ressemble souvent à un petit village avec ses petites boutiques et ses commerçants qui saluent les riverains. C’est sympa. Ce qui l’est moins, c’est que dans un quartier comme celui-ci, où les gens sont si riches qu’ils n’ont même plus besoin d’en avoir l’air – ils ne sont même pas snobs, c’est dire – certains immeubles échappent encore au tri sélectif. Au hasard : mon immeuble. Est-ce parce que, sans doute à cause du prix du mètre carré, surtout dans ce quartier, les appartements sont trop exigus pour accueillir trois poubelles au lieu d’une ? J’attends des preuves !
J’ai posé la question à la gardienne, une femme remarquable dont je tairais ici l’origine de peur qu’on m’accuse d’entretenir des idées toutes faites. La réponse qui m’a été livrée m’a tellement estomaquée – je suis si sensible ! – que je ne m’en suis pas encore remise. Figurez-vous que les poubelles de tri encombrent la cour, et que cela dérange les copropriétaires. Nous sommes donc équipés de deux poubelles généralistes, quand nous pourrions en avoir trois, dont une pour le verre, et une pour les emballages. J’imagine que ces gens-là n’ont pris la peine de fermer le robinet pendant qu’ils se brossaient les dents qu’une seule et unique fois dans leur vie. Ça les a fatigués, ils n’ont plus jamais recommencé.
De mon côté, je ne me revendique pas écolo dans l’âme, je ne donne pas dans la jet set verte. Mais j’ai une conscience, et puis, égoïstement, j’ai quoi ? encore soixante, soixante-dix ans à vivre ici. Je dis ici, parce que Mars, pour le moment, ça n’a quand même pas l’air très accueillant. Et, par-dessus le marché, je compte fabriquer des marmots ; je n’aimerais pas devoir répondre, dans une douzaine d’années, à une question comme : « ça veut dire quoi, « hiver » ? C’est quand il fait mouillé ? C’est comme l’été alors ? », au moment d’apprendre la récitation Matin de décembre :

On s’éveille
Du coton dans les oreilles
Une petite angoisse douce
Autour du cœur, comme mousse ;
C’est la neige,
L’hiver blanc
Sur ses semelles de liège
Qui nous a surpris, dormant.

Charles Cros, Avec des mots… (1927)

Alors, depuis que Paris installe des poubelles de tri sélectif dans les stations de métro, je vais régulièrement vider un panier rempli d’emballages et autres journaux à Saint Placide. Je n’ai pas encore repéré le moment où je pourrais remplir ma mission sans témoin ; calmement, je m’acquitte donc de mon devoir citoyen en présence de passants, d’autant plus surpris que je remonte à l’air libre aussitôt que j’ai vidé mon panier. Je vous rassure, je ne pousse pas la vertu au point de payer un ticket à chaque fois que mon panier est plein. Non, j’en profite pour obéir aux publicités alimentaires qui nous enjoignent de manger moins gras, moins sucré, moins salé, et de bouger : je saute.

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